La musique d’Alfred Bruneau dans Le Rêve

de Jacques de Baroncelli (1930)

 

            Jean-Sébastien Macke

 

            C’est en 1921 que Jacques de Baroncelli réalise un premier film muet d’après le roman d’Emile Zola, Le Rêve. Dix ans plus tard, le cinéaste choisit le même roman pour, cette fois, tourner une version parlante. Suivant fidèlement la trame romanesque de Zola, il fait appel au compositeur Roland-Manuel pour les illustrations musicales. Le musicien ne conçoit pas une partition originale pour le film mais réalise un choix d’extraits musicaux, pour la plupart issus du drame lyrique composé par Alfred Bruneau, le Rêve, sur un livret de Louis Gallet, et créé à l’Opéra-Comique le 18 juin 1891. Curieusement, le nom de Bruneau n’apparaît pas au générique de présentation du film et nul ne peut savoir, à moins d’être spécialiste, que la musique de cet intime de Zola est largement utilisée.

            Le Rêve d’Alfred Bruneau est construit selon un système de motifs conducteurs, phrases musicales caractéristiques associées à un personnage, un sentiment ou une action. Les principaux motifs conducteurs du drame lyrique sont repris par Roland-Manuel dans son adaptation musicale, dès le générique de présentation qui défile avec, pour musique, le prélude imaginé par Bruneau et dont le thème, pilier de l’œuvre, illustre la devise des seigneurs d’Hautecœur : « Si Dieu veut, je veux. »

 

            Thème de la Devise

Thème de la Devise - Alfred Bruneau
 


            Les premières images montrent une petite fille, Angélique, errant dans une ville déserte et recouverte par la neige. Elle se réfugie sous le porche d’une cathédrale et se place sous la protection des Saintes statufiées, représentées par le thème suivant :

 

            Thème des Saintes

Thème des Saintes - Alfred Bruneau
 


Cette petite fille se prénomme Angélique et l’on va découvrir, par la suite, son parcours chaotique depuis qu’elle a été abandonnée par sa mère. La petite fille est représentée par un thème aigu et guilleret :

 

            Thème d’Angélique

Thème d'Angélique - Alfred Bruneau

 


            Ce thème d’Angélique encadre un motif récurent du drame lyrique qui représente le rêve naïf d’Angélique devenue une jeune fille, celui d’épouser un prince ; thème amplifié par celui du Désir qui s’achève sur un retour du motif des Saintes.

 

            Thème du Rêve

Thème du Rêve - Alfred Bruneau
 


           

Thème du Désir

Thème du Désir - Alfred Bruneau

           

Ainsi, dès la première séquence du film, le personnage d’Angélique est mis en place par la musique : jeune fille mystique rêvant de sortir de sa condition et de réaliser ses rêves.

 

            Les séquences suivantes se déroulent sans musique et, hormis un chant religieux dans la cathédrale,  il faut attendre la scène de la lessive dans le Clos-Marie pour retrouver la présence de la musique de Bruneau. C’est une mélodie gaie et enjouée que Bruneau avait lui-même emprunté au recueil de mélodies populaires du musicologue Julien Tiersot.

           

De retour dans sa chambre, ivre de son rêve et troublée par sa rencontre avec Félicien, un jeune ouvrier, Angélique s’enferme dans son imagination et ressent la présence des Saintes de la Légende Dorée de Jacques de Voragine. La mélodie qui accompagne ce passage est celle des Voix des Saintes qui, dans le drame lyrique de Bruneau, demandent à Angélique de réaliser son rêve puis de venir les rejoindre afin de grossir leurs rangs. Les Saintes sont omniprésentes tant dans l’opéra que dans le film et nous les retrouverons lorsque Angélique ira se présenter à l’évêque Jean d’Hautecœur, père de Félicien. 

            C’est lors de la procession de la Fête-Dieu que nous entendons à nouveau des thèmes empruntés à Bruneau. Les femmes chantent un cantique populaire, Les Anges dans nos campagnes, tandis que les hommes reprennent un Pane Lingua et que l’on entend à nouveau le thème du rêve d’Angélique lorsqu’elle découvre que Félicien, le maître-verrier, n’est autre que le fils de Monseigneur Jean d’Hautecœur.

            Rejetée par l’évêque, Angélique est désespérée. Lors d’une nouvelle scène de lessive, on entend la mélodie populaire exposée précédemment mais reprise de manière beaucoup plus lente et mélancolique. Angélique laisse de nouveau échapper un linge mais Félicien n’est plus là pour le récupérer. Le rêve d’Angélique s’éloigne et elle finit pas s’évanouir en apprenant le mariage prochain de Félicien avec Claire de Voincourt.

           

            Ces différents thèmes empruntés par Roland-Manuel à Alfred Bruneau structurent le film de Baroncelli et lui servent de commentaire musical, redonnant par-là  une vie nouvelle à cet opéra qui sera joué à Paris jusqu’en 1947 et dont on redécouvre, aujourd’hui, toute la richesse.